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La justice suisse ouvre une porte à l’euthanasie active


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Par Pierre-Emmanuel Buss (Le Temps (CH)

L'acquittement de l'ancienne médecin cantonale en retenant l'état de nécessité constitue une première en Suisse. «Daphné Berner n'avait pas d'alternative pour préserver la dignité humaine et la volonté de la patiente.» Le juge Bastien Sandoz a acquitté lundi l'ancienne médecin cantonale neuchâteloise condamnée par une ordonnance pénale du Ministère public à 45 jours-amendes avec deux ans de sursis pour une infraction à l'article 114 du Code pénal (meurtre sur demande de la victime). Cette décision très attendue – comme lors de l'audience de jugement, début novembre, la petite salle du Tribunal de Boudry était pleine – constitue une première: la justice suisse avait jusqu'ici toujours condamné l'euthanasie active directe.

Bastien Sandoz a ouvert une brèche dans la législation existante en retenant l'état de nécessité. Selon lui, comme l'avait plaidé l'avocat de la défense, Me Yves Grandjean, Daphné Berner s'est trouvée confrontée à une situation si particulière qu'elle remet en cause «l'intangibilité de la vie humaine».Les faits remontent à l'an dernier. Atteinte d'une maladie neurologique dégénérative incurable qui lui fait progressivement perdre l'usage de ses membres, une femme de 43 ans domiciliée sur le Littoral neuchâtelois décide de faire appel à l'association Exit. Elle remplit toutes les formalités et fixe la date de son départ au 10 septembre 2009.

A l'approche de la délivrance, son état de santé se détériore de manière foudroyante. Elle devient progressivement incapable d'avaler. La paralysie s'étend ensuite à tout le corps. Le 10 septembre, elle ne peut plus bouger hormis une partie de sa jambe droite. Comme elle est incapable d'actionner la molette qui libère l'injection létale, Daphnée Berner décide de faire le geste elle-même, en accord avec l'autre accompagnateur de l'association, la patiente et ses proches. Elle sait qu'elle sort du cadre légal, mais pour une cause qu'elle juge juste, comme elle l'a souligné en novembre. «J'ai la conviction que le législateur n'a pas voulu dire: «Si tu peux te donner la mort avec ton pouce, c'est OK. Si tu ne peux pas, c'est tant pis.»

Le tribunal a été sensible à cet argument. Dans son jugement, Bastien Sandoz a estimé qu'il aurait été «cruel de ne pas agir». Il a souligné que cet épilogue n'était pas prémédité, qu'il s'agissait «d'une assistance au suicide qui a mal tourné, sans volonté de transgression». Le magistrat a également tenu compte de la spécificité d'une maladie où l'on se trouve «enterré vivant».

La décision neuchâteloise ouvre une porte pour une jurisprudence en matière d'euthanasie active. Sous réserve de la lecture qu'en fera le Tribunal fédéral. Le Ministère public devrait en effet recourir même si le procureur général Pierre Cornu préfère ne pas trop s'avancer pour l'heure. «Nous lirons les considérants du juge avec intérêt et nous déciderons sur cette base de déposer ou non un recours.»

Quelle que soit sa finalité sur le plan juridique, le cas Daphné Berner relance la question de l'euthanasie active sur le plan politique. Selon Jérôme Sobel, président d'Exit Suisse romande, l'affaire souligne «les limites du Code pénal», avec une différence de traitement entre une personne «qui peut se libérer toute seule et une autre qui ne peut pas». Le médecin lausannois estime que la forme actuelle de l'article 114 du Code pénal incite les malades «à se suicider plus vite» pour ne pas «être pris au piège».

Exit souhaite que la norme fédérale actuellement en préparation réglant l'aide au suicide tienne compte de ce «cas école». Avant sa présentation, début 2011, le conseiller aux Etats neuchâtelois Didier Berberat (PS) déposera une intervention parlementaire pour doter l'article 114 CP d'un alinéa 2. L'objectif est de permettre à la justice de ne pas entamer de poursuites quand tous les critères définis en 1999 par le groupe de travail sur l'assistance au décès sont réunis: «maladie incurable; phase terminale; souffrances insupportables et irrémédiables».

Jérôme Sobel espère que le cas neuchâtelois incitera l'Académie suisse des sciences médicales à modifier ses directives pour faire de l'euthanasie active «une cause médicale», en tenant compte de la clause de conscience. A entendre l'opposition décidée de nombreux médecins, le combat est loin d'être gagné.

Le Temps

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