Histoire d’un train qui ne demande rien à personne, rapporte à beaucoup de monde, mais ne semble pas plaire à tout le monde.
Par Jean-Michel PIERNETZ, Président des Chemins de Fer de la Haute Auvergne (Juillet 2010)
Les lignes de chemin de fer qui jalonnent l’Auvergne et ses frontières sont souvent apparues comme spectaculaires, aussi bien par la hardiesse de leur infrastructure que par le matériel employé. Souvent imposées par les services de l’Etat concernant leur tracé, mais souvent au centre d’une certaine concurrence marquée par des trafics divers tels le transport des vins du midi ou celui des curistes vers les stations thermales, elles devinrent aussi rapidement le cauchemar des exploitants. En effet, loin des grands courants de transit, traversant des régions rurales à faible densité de population, elles deviendront rapidement déficitaires et certaines ne vivront que quelques décennies.
Après leurs fermetures successives à partir, le plus souvent, des années 70, plusieurs d’entre elles retrouveront une deuxième vie grâce aux nombreux amateurs ferroviaires et élus locaux. En effet, certaines furent exploitées avec succès en chemin de fer touristique (Quercyrail pour Cahors-Capdenac, Vivarais pour Tournon-Lamastre, Agrivap pour Courpière-Sembadel, Chemin de Fer du haut Forez pour Sembadel-Estivareilles, et bien sûr CFHA avec Bort les Orgues-Lugarde…). Malheureusement, la malédiction semble s’abattre sur ces voies ferrées, puisque nombre de ces exploitations ont maintenant disparu, non pas le plus souvent par manque de voyageurs, mais simplement suite à des tiraillements locaux, souvent à caractère politique.
Et l’histoire semble se répéter….
L’Association des Chemins de Fer de la Haute Auvergne (CFHA), qui exploite le train Gentiane Express® sur une partie de l’ancienne ligne mythique allant de Bort à Neussargues (Cantal-15) depuis 1997 fait maintenant partie intégrante du paysage touristique ferroviaire Français.
Mais rappelons quelques dates.
1990. La fermeture de la ligne SNCF Bort-Neussargues laisse un goût amer à tous les mordus de patrimoine ferroviaire. Beaucoup ont entendu les discours sur le développement touristique. Il n’y a qu’un pas à franchir pour des bénévoles qui créent l’association des « Chemins de Fer de la Haute Auvergne », CFHA. .
<LI>1994. L’Association des Chemins de Fer de la Haute Auvergne est constituée et a pour but essentiel d’assurer le sauvetage de la ligne Bort-Neussargues et de conjurer ainsi le sort funeste qui suit malheureusement les fermetures de ligne (démantellement des installations, dépose des voies et à terme disparition de toute trace ferroviaire) .
<LI>1997. Le train reprend du service pour le plus grand bonheur de milliers de passagers et pour tous les habitants du « Pays », contents de voir que la ligne n’est pas morte, contents aussi d’entendre le Klaxon du Gentiane Express®. De leur côté, les vaches retrouvent leurs habitudes, elles savent pourquoi elles montent à l’estive, c’est, entre autre, pour voir passer le train….
Après des débuts cahotiques, où le succès était monté à la tête de l’ancien président de l’époque, l’issue de cette première période fut marquée par une crise interne sérieuse en 2002 : sécurité bafouée, caisses vides, pas de trace de comptabilité, détournement de fonds…. Les amoureux du chemin de fer mettent la main à la poche pour reconstituer un petit capital de départ. Jean Michel Piernetz, cofondateur de l’association, est élu président, soutenu par 99% des 130 d’adhérents. Suivent des actions en justice au civil et au pénal contre le président sortant : son idée était de constituer une société commerciale avec bénéfices pour quelques uns, travail bénévole pour les autres ! La justice le condamne. .
<LI>2004. L’exploitation de la ligne est régie par une convention entre Réseau Ferré de France et le Conseil Général qui délègue la gestion du train à l’association CFHA. Le Gentiane Express® repart sans aucune subvention, mais avec un moral d’acier, dans le respect des règles de sécurité, sous le contrôle de la SNCF. .
<LI>2005. Le président déchu vit mal son éviction : il attaque le Conseil Général pour vice de procédure dans l’attribution de l’activité à l’association CFHA.
Ainsi, après ces débuts mouvementés, le professionnalisme de cette association en matière de transport ferroviaire touristique fait maintenant référence, non seulement auprès d’autres chemins de fer touristiques, mais aussi auprès des instances de la SNCF et de RFF. .
<LI>2009. 6 saisonniers et un salarié permanent. 11 000 passagers enregistrés. Des milliers de repas pour les restaurants de Riom ès Montagnes et d’ailleurs. CFHA se porte bien mais rappelle que la convention Réseau Ferré de France/Conseil Général arrive à échéance fin 2009. .
L’autogestion financière de cette association sans recours à aucun fond public ou aides diverses des collectivités laisse admiratif aussi bien de nombreux observateurs, que les professionnels du tourisme.
Mais les faits sont là : à ce jour aucun train des CFHA ne peut s’élancer sur les dures rampes de la ligne Cantalienne allant de Bort à Neussargues. Pourquoi ? .
Le 31 décembre dernier, se terminait la délégation de service public qui avait désigné les CFHA comme exploitant. Le Conseil Général du Cantal, institution signataire de cette délégation décida pour différentes raisons étrangères au CFHA, de ne pas renouveler son action. Façon assez curieuse de soutenir le tourisme d’autant que l’activité ne coûte strictement rien à la collectivité A sa décharge, il faut dire qu’il venait d’être condamné par la cour d’appel administrative de Lyon pour vice de procédure dans l’attribution de cette DSP. Les membres des CFHA se tournèrent donc naturellement vers les élus locaux afin d’obtenir une nouvelle convention d ‘exploitation. Les trois communautés de communes traversées par la voie semblèrent toutes indiquées pour être signataire de cette convention. Mais, dans certaines régions de France, il semble que la guerre des communes soit toujours d’actualité, surtout si elles sont de sensibilité politique différente. Ces trois communautés de communes ne s’accordent pas entre elles, même pires certaines communes ne veulent pas du train. Les élus du Nord Cantal décident de créer un syndicat mixte regroupant les communautés de communes du Pays Gentiane et du Cézallier, mais fidèles à leurs habitudes, ils se pressent lentement et d'ores et déjà le Gentiane Express®, s’il circule, ne partira pas de Bort les Orgues, mais de Riom ès Montagnes. Cela semble totalement incompréhensible puisque près de 5000 repas sont servis chaque annuellement dans les localités desservies par la ligne, à Bort ou Riom essentiellement ! .
Le train devait redémarrer au 1er avril et à ce jour, le 21 juillet, toujours pas de convention. .
D’avril à juin le train fonctionnait essentiellement avec des groupes. Au grand désespoir des responsables, il a fallu annuler plus de 6 000 voyages, le Gentiane Express® perd toute crédibilité. Les emplois des saisonniers et du permanent sont évidemment menacés, les bénévoles ont le sentiment de ne pas être respectés, le travail des anciens ayant construit la ligne à la sueur de leur front est bafoué.
Comment peut on imaginer que ce train qui depuis plus d’une décennie est devenu un vecteur touristique indispensable de cette partie de l’Auvergne, que ce train qui circule en toute quiétude avec des garanties de sécurité optimales, que ce train qui draine plus de 11 000 touristes par an dans les vallées du Nord du Cantal, que ce train qui ne coûte pas un centime aux contribuables, ne puisse pas circuler suite à la phobie de quelques élus locaux ? Après être devenu un désert ferroviaire, l’Auvergne va t’elle devenir simplement un "no man’s land touristique" ? On peut le craindre. .
http://www.massifcentralferroviaire.com/Actualites.php
Et aussi :
http://www.mbao.fr/bortlesorgues/bortlesorgues-trains.htm