Dom Le Trappeur Publication: 22 novembre 2009 Publication: 22 novembre 2009 (modifié) Aiguilleurs du ciel Un article de Libération http://www.liberation.fr/societe/010160416...-ciel-vu-du-sol Roissy, le ciel vu du sol Une frénésie aéronautique habite les cieux, mais faut-il s’inquiéter de ce trafic grandissant ? Visite guidée dans les tours de contrôle de Charles-de-Gaulle. Par Lionel FROISSART Photos Laurent TROUDE Jour et nuit des milliers d’avions passent dans le ciel de France. Ils s’ajoutent à ceux qui décollent et atterrissent des différents aéroports et aérodromes de l’Hexagone. Ainsi, toutes les vingt-quatre heures, ce sont près de 8 000 avions qui occupent l’espace aérien français. Aucun de ces vols n’échappe aux radars des contrôleurs de Brest, Aix-en-Provence, Athis-Mons, Reims, Marseille ou Bordeaux. Sans oublier ceux des deux aéroports parisiens, Orly et Roissy. Alors, faut-il s’inquiéter de cette frénésie aéronautique au-dessus de nos têtes ? Une visite prolongée à Roissy, et guidée par Patrick Berthault, l’un des contrôleurs qualifié pour l’aéroport Charles-de-Gaulle, incite à répondre qu’il n’y a pas de raison de s’angoisser. Le ciel est bien gardé. Même si la gestion de la circulation au sol est un casse-tête à «CDG» (pour les intimes), l’aéroport parisien cumulant une centaine de kilomètres de taxiways. Les temps de roulage qui en découlent, jusqu’à vingt minutes, ne manquent pas d’exaspérer les pilotes. Patrick Berthault résume leur état d’esprit par rapport à celui de leurs interlocuteurs à terre : «Un contrôleur travaille dans l’intérêt collectif tandis que les pilotes voient les choses d’une manière plus individuelle. Alors oui, deux logiques différentes peuvent parfois s’opposer. Mais il faut se souvenir qu’au sol, on peut tout arrêter. En l’air, il faut composer au mieux avec la situation qui se présente. La sécurité est une priorité.» De fait, le contrôleur a une vue d’ensemble du trafic aérien au-dessus de son terrain, ce qui n’est pas le cas dans un cockpit. Roissy est la plus grande plateforme aéroportuaire d’Europe au nombre de mouvements d’avions, soit 550 000 décollages et atterrissages par an (près de 650 000 les années où est organisé le salon aérien du Bourget). Avec un tel niveau d’activité, Charles-de-Gaulle rivalise avec les plus grands aéroports nord-américains. Cette intensité dans la rotation des avions suppose des outils et des moyens humains considérables. Ainsi, sur les 4 012 «ICNA» (Ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne) en activité en France, Charles-de-Gaulle en monopolise près de 300, plus des dizaines d’ingénieurs pour l’entretien du matériel informatique. C’est en moyenne une quarantaine d’ICNA - sans compter les nombreux stagiaires - qui à chaque instant scrutent les pistes et l’espace aérien de Roissy sur leurs écrans. A travers les vitres de leur tour de verre ou dans les sous-sols de la tour centrale, là où s’étend sur près de 700 m2 la salle d’approche - une appellation erronée puisque c’est là, dans ce véritable bunker, que sont traités aussi bien les vols au départ que ceux à l’arrivée. Décollages en «doublé» Chaque mouvement d’avion commence avec une petite bande imprimée : le «strip». Ce morceau de papier de 21,5 cm sur 3 cm, matérialise l’appareil pour chacun des quatre à six contrôleurs qui vont, tour à tour, «prendre» un avion en charge dès lors que le pré-vol a autorisé la mise en route de l’appareil à son point de parking, ou lorsqu’il se trouve à environ un quart d’heure de son terrain de destination en phase d’approche. Craché par un ordinateur, le strip affiche une cinquantaine d’informations : le type de l’appareil et le nom de la compagnie à laquelle il appartient, le numéro du vol, le code du transpondeur (son identifiant radio pour la durée du vol), sa destination, les balises qu’il va accrocher sur sa route et différents paramètres techniques que le contrôleur va cocher à mesure qu’il les donnera au pilote avant le départ ou lors de l’approche. Ainsi renseignés, les contrôleurs savent quelle longueur de piste sera nécessaire au décollage de l’avion et calculer l’espacement à respecter entre deux types d’appareils. Ils connaissent aussi le parking de départ ou d’arrivée qui a été attribué par la compagnie en collaboration avec les Aéroports de Paris (ADP). Si les contrôleurs décident de la piste sur laquelle un avion va décoller ou atterrir, ils n’ont pas d’influence sur l’endroit où un avion va stationner. Même si certains grognent parfois de devoir atterrir à l’opposé de leur point de stationnement. Outre le centre névralgique qu’est la salle d’approche, Roissy Charles-de-Gaulle compte trois tours de contrôles : la tour centrale, la plus ancienne, est utilisée pour les vols de nuits entre 22 heures et 6 h 40, la tour sud et la tour nord sont chacune dédiées aux deux pistes - sud et nord - de la plateforme délimitée en son milieu comme deux territoires bien distincts. Enfin, une vigie contrôle les mouvements de véhicules au sol, soit un espace équivalant au tiers de Paris. Roissy est également l’unique aéroport européen à permettre des atterrissages et des décollages «en doublé». Une particularité dont ne sont pas peu fiers ses contrôleurs. Les tours de contrôles ont pour mission de prendre en charge les avions de leur point de parking jusqu’au seuil de la piste, véritable «sanctuaire» comme le souligne Patrick Berthault. L’appareil est alors «transféré» à un contrôleur de la salle d’approche. Lors du roulage ou de l’approche des avions, les contrôleurs ont devant eux un écran radar sur lequel chaque appareil encore au sol est signalé en bleu, alors que ceux en approche sont en rose ou mauve selon qu’ils vont se poser au nord ou au sud du terrain. En cliquant sur leur icône, le contrôleur accède à une multitude de paramètres dont la vitesse d’évolution, l’altitude, la vitesse de montée, le cap, etc. Gagnés par le stress Mais un mouvement d’avion ne se limite pas à des chiffres sur un écran électronique. C’est aussi, et avant tout, un échange radio entre chaque contrôleur au sol et le pilote dans son cockpit. Il suffit d’enfiler un casque radio dans une salle d’approche pour se rendre compte à quel point ce métier peut s’avérer stressant - surtout dans les phases d’atterrissage ou lorsque la météo est mauvaise - et aussi pourquoi il impose une remise à niveau régulière après une formation qui peut durer jusqu’à sept ans après le bac. Un aéroport comme celui de Roissy exige une «qualif» spécifique et ce n’est pas l’affectation la plus demandée par ceux qui redoutent d’y être gagnés par le stress. Conséquence de l’augmentation du trafic, depuis l’automne 2007, Eurocontrol, auquel adhère une quarantaine d’Etats membres, offre une harmonisation européenne des méthodes de contrôle dans le ciel européen. Dans la pratique, un contrôleur faisant atterrir et décoller les avions en même temps relève de la fiction. Ces deux phases d’un vol sont traitées d’une manière séparée par des contrôleurs différents. Quant aux «engueulades» entre contrôleurs et pilotes, elles sont d’une extrême rareté. Tout simplement parce qu’ils n’en ont pas le temps. Interrogés sur le sujet, des pilotes précisent qu’«un cockpit est le dernier endroit pour régler ses comptes avec son copilote ou avec un contrôleur». Et les deux corps de métier se rejoignent sur ce point :«Si ona quelque chose à dire, on l’écrit.» Si un pilote - ou un contrôleur - se laisse aller à régler ses comptes sur la fréquence, cela s’apparente à une faute grave. De fait la teneur des échanges entre le sol et un avion (tous enregistrés) se résume à un langage codé, succinct qui ne laisse aucune place aux digressions, d’autant que les avions ne cessent pas pour autant de s’empiler, façon millefeuille, dans les phases d’atterrissage, et les queues de s’allonger aux «portes» des décollages. Mais comme dans toute activité humaine, différentes philosophies s’opposent parfois. Ainsi, certains pilotes ne comprennent pas qu’on puisse les «ralentir» en approche ou ne pas leur proposer des «raccourcis» alors que le trafic n’est pas celui des heures de pointe. D’autres commandants reprochent aux contrôleuses (34 % des effectifs) une trop grande rigidité dans l’application des procédures. A moins que ce ne soit une preuve de sérieux. Depuis trois ans, un (ou une) chef règne sur la salle d’approche et règle les éventuels dysfonctionnements et atténue les tensions qui peuvent surgir à la suite d’un incident. C’est également ce responsable qui décide de l’ouverture ou la fermeture d’une «position» en fonction de la densité du trafic. Il y a quelques semaines, un article à charge du Figaro avait laissé entendre que les contrôleurs abandonnent parfois leur poste dans les périodes creuses. C’était une interprétation de ce qui, dans la réalité, permet aux contrôleurs de «passer la main» à une position voisine lorsque le rythme du trafic baisse, tout en restant à disposition du contrôle. Pour d’évidentes raisons de sécurité, un contrôleur change de position à chaque heure et ne travaille pas plus de trois heures d’affilée avant de s’octroyer une pause pour enchaîner à nouveau trois séquences de contrôle d’une heure chacune, et ce trente-deux heures par semaine. Ecouler les vols Les vols sont programmés de telle façon par les compagnies aériennes que les «hubs» de départs succèdent à ceux des arrivées par un phénomène de vagues assez régulier. Entrecoupés de périodes d’un calme relatif. Chaque jour, Roissy vit au rythme de six grandes vagues. La première déferle à 5 h 30 pendant une heure avec les arrivées des longs courriers, puis ce sont les départs de 8 heures à 9 h 30. De 11 heures à 12 heures s’entassent des départs et des arrivées, puis à nouveau de 14 h 30 à 15 h 30 une majorité de départs. De 17 heures à 19 heures, les contrôleurs s’évertuent à «vider le ciel» comme le dit joliment Patrick Berthault. Enfin, de 20 h 45 à 22 h 15 c’est au tour des moyens courriers d’occuper les fréquences avant de laisser la tour centrale écouler les vols de nuit et les départs des avions Cargo de Fedex et de la Poste. Malgré l’augmentation du trafic aérien ces dernières années, les rapports d’incidents, les «air prox» que les pilotes peuvent déposer s’ils jugent avoir été mis en position de danger, se font plus rares chaque année. Il n’y en a eu que 65 en 2008 pour près de 3 millions de vols traités, soit une moyenne d’un «air prox» tous les 44 000 vols. Que les passagers et les riverains des aéroports se rassurent, même en cas de fausse manœuvre d’un contrôleur, les avions sont bardés de systèmes anti-collision. Modifié 22 novembre 2009 par Dom-trappeur
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